La distribution est une activité à risque. Les supermarchés doivent stocker des centaines de produits d'une foule de marques et de tailles qui sont vendus avec de faibles marges. Il est important d'en assurer le suivi, et d'en stocker ni trop, ni trop peu. Dans un passé pas si lointain, quand les magasins grandissaient et que le nombre de rayons se multipliait, le seul moyen de faire leur inventaire était de fermer le magasin et de compter chaque boîte, chaque sac, et chaque pièce. Ce travail coûteux et gênant était fait au moins une fois par mois. Les directeurs de magasins devaient baser la plupart de leurs décisions sur des estimations approximatives. Longtemps avant que les codes à
barres et les lecteurs ne fussent inventés, les épiciers savaient qu'ils avaient
impérativement besoins de tels outils. Les cartes perforées, initialement développées
pour le recensement des États-Unis de 1890, semblaient porter les premiers espoirs. Évidemment, le problème était que le matériel nécessaire à la lecture des cartes de l'époque était rudimentaire, extrêmement difficile à manipuler, et hors de prix. Même si le pays n'avait pas été au milieu de la Grande Dépression, la proposition de Flint n'aurait pas été réalisable avant de nombreuses années. Elle présageait quand même de ce qui allait arriver. Le premier pas vers les codes à barres d'aujourd'hui fut fait en 1948, lorsque Bernard
Silver1, un étudiant diplômé, entendit une conversation dans le hall du Philadelphia's
Drexel Institute of Technology. Sa première idée fut d'utiliser des motifs avec une encre lumineuse
lorsqu'elle est soumise à de la lumière ultraviolette, et les deux hommes
construisirent un appareil pour tester ce concept. Woodland, dans une interview, se souvient : Woodland ramena cette idée à Drexel, qui commença à rédiger un brevet
d'application. En 1951, Woodland obtint un poste chez IBM, où il espérait que son système pourrait se développer. L'année suivante, Silver et lui se mirent à construire le tout premier lecteur code à barres dans le salon de la maison de Woodland à Binghamton, dans l'état de New York. Le système avait la taille d'un bureau et devait être recouvert de tissu huilé noir pour le protéger de la lumière ambiante. Il était composé de deux éléments-clés : une ampoule à incandescence de 500 watts, utilisée comme source de lumière et d'un tube photomultiplicateur RCA 935, conçu pour les systèmes de sonorisation de films, utilisé ici comme lecteur. Woodland brancha le tube 935 à un oscilloscope. Il déplaça alors un morceau de papier portant des lignes devant le fin pinceau de lumière rayonné par la source. Le rayon réfléchi éclaira le tube. La chaleur dégagée par l'ampoule était telle, que le papier commença à se consumer. Néanmoins, Woodland obtint ce qu'il désirait. Quand le papier était déplacé, le signal sur l'oscilloscope variait. Lui et Silver avait créé un appareil qui pouvait électroniquement lire un support imprimé. Aucune solution ne parut immédiatement pour transformer une réponse électronique brute en une forme exploitable. Les ordinateurs primitifs de cette époque, difficiles à faire fonctionner, ne pouvaient effectuer que de simples calculs, et de toute façon avaient la taille du rayon des produits surgelés. L'idée même d'en installer des centaines dans tous les supermarchés du pays aurait été une pure fantaisie. Ainsi, sans une manière pratique et abordable d'enregistrer les données des codes de Woodland et Silver, leur idée n'aurait été rien de plus qu'une curiosité. Il y avait cette ampoule de 500 watts. Elle créait une très grande quantité de
lumière, dont seul une minuscule partie était vue par le tube 935. Le reste était
transformé en une chaleur pénible et coûteuse. « Cette ampoule était une chose
terrible à regarder, rapporte Woodland, elle pouvait causer des dommages aux yeux. » Mais Woodland et Silver pressentant le potentiel poursuivirent leur travail. En octobre 1952, leur brevet fut délivré. Woodland resta chez IBM et à la fin des années 1950 persuada la compagnie d'engager un consultant pour évaluer l'intérêt des codes à barres. Le consultant admis qu'ils avaient de grandes possibilités mais ajouta qu'ils nécessiteraient une technologie qui ne serait pas disponible avant 5 ans. Aujourd'hui, la moitié des brevets déposés pendant les 17 ans de travail de Woodland et Silver ont expiré. IBM a proposé plusieurs fois d'acheter les brevets, mais pour un montant bien inférieur a ce qu'en demandaient les inventeurs. En 1962, Philco accepta leur prix, et ils les vendirent (l'année suivante, Silver décéda à l'âge de 38 ans). Philco vendra plus tard les brevets à RCA. Avant cela les avancées en matière de traitement de l'information vinrent des compagnies ferroviaires. Les wagons de marchandises sont mobiles, ils se promènent à travers les USA et sont prêtés entre les sociétés. Leur suivi est l'une des taches les plus complexes qui incombent aux sociétés ferroviaires et au début des années 1960 cela attira l'attention de David J. Collins. Collins obtint un master degree au MIT en 1959 et fut immédiatement engagé par la Sylvania Corporation qui recherchait des applications militaires pour un ordinateur qu'elle avait conçu. Ils avaient remarqué que Collins avait précédemment travaillé pour la Pennsylvania Railroad et qu'il connaissait les besoins d'identification automatique des wagons de chemins de fers et de gestion de l'information ainsi collectée. Alors que leur ordinateur s'occuperait de la seconde partie, Collins n'aurait plus qu'à trouver un moyen de réaliser la première. Une sorte d'étiquette codée sembla être la solution la plus simple et la moins chère. Strictement parlant, les étiquettes que Collins trouva n'étaient pas des codes à barres. Au lieu d'utiliser des barres ou des cercles noirs, ils utilisèrent des groupes de bandes orange et bleue réalisées dans un matériau réfléchissant qui étaient organisées pour représenter des chiffres de 0 à 9. Chaque wagon recevait un nombre de 4 chiffres pour identifier la société ferroviaire propriétaire et un nombre de 6 chiffres pour identifier le wagon lui-même. Quand le wagon passait dans un dépôt, le lecteur envoyait un rayon lumineux coloré vers le code et interprétait sa réflexion. La Boston & Maine procéda aux premiers tests sur ses wagons de transports de gravier en 1961. Courant 1967, la plupart des problèmes avaient été résolus et un standard national des systèmes de codage fut adopté. Il ne restait plus aux sociétés ferroviaires qu'à acheter et à installer les équipements. Collins entrevit des applications de codage automatique bien au-delà des chemins de fer et en 1967, il en suggéra l'idée au directeur de Sylvania. « J'ai dit que ce nous devrions faire maintenant serait de développer un équivalent avec de petites lignes noires et blanches pour le contrôle des convoyeurs et de tout ce qui bougeait, se rappelle-t-il. » Dans une réaction classique de vision à court terme, la société refusa de lui apporter les fonds. « Ils disaient : nous ne voulons pas investir plus. Nous avons cet immense marché et profitons en pour en tirer le plus d'argent possible.» Collins les quitta et co-fonda Computer Identics Corporation. Sylvania ne fit plus jamais de profit en fournissant les sociétés de chemins de fer. Les transporteurs commencèrent à installer des lecteurs en 1970 et le système fonctionnait comme prévu mais était tout simplement trop coûteux. Bien que les ordinateurs soient devenus nettement plus petits, rapides et bon marché, ils restaient trop chers pour être économiques au regard des quantités nécessaires. La récession du milieu des années 1970 acheva de tuer le système quand la banqueroute d'un grand nombre de sociétés de ferroviaires réduisit les budgets de cette industrie. Pendant ce temps, Computer Identics a prospéré. Son système utilisait les lasers qui, vers la fin des années 1960, venaient juste de devenir abordables. Le rayon d'un laser hélium-néon d'un milliwatt pouvait facilement effectuer le même travail que l'ampoule de 500 watts difficile à manier de Woodland. La fine raie de lumière passant sur un code à barres était absorbée par les barres noires et réfléchie par les blanches, donnant aux capteurs du lecteur un signal précisément modulé. Les lasers permettaient ainsi de lire des codes à barres à n'importe quelle distance entre 5 et 50 cm, et pouvaient balayer dans les deux sens, comme un projecteur, des centaines de fois par seconde, permettant la lecture du code sous des angles différents. On pouvait ainsi déchiffrer des étiquettes rayées ou déchirées. Au printemps 1969, Computer Identics a discrètement installé ses deux premiers systèmes, probablement les premiers véritables systèmes de code à barres au monde. Le premier fut installé dans une usine General Motors à Pontiac dans le Michigan, où il fut utilisé pour surveiller la production et distribution d'essieux. L'autre le fut dans une installation de distribution utilisée par la General Trading Company à Carlsbad dans le New Jersey, pour transmettre les expéditions directement vers le bon quai de chargement. A ce moment les systèmes étaient encore construits à la main : Collins fabriquait les capots des lecteurs avec de la fibre de verre qu'il moulait sur une poubelle retournée. Les deux systèmes étaient basés sur des codes à barres extrêmement simples ne comportant, comme information utile, que deux chiffres. Mais c'était tout ce dont on avait besoin, l'usine de Pontiac ne fabriquant que dix-huit types d'essieux, et le service de General Trading avait moins de cent portes. Le triomphe de Computer Identics démontrait le potentiel des codes à barres dans les configurations industrielles. Mais c'est encore le secteur de l'épicerie qui a poussé à nouveau cette technologie vers avant. Au début des années 1970, cette industrie a propulsé vers la pleine maturité commerciale la technologie que Woodland et Silver avaient rêvé et dont Computer Identics avait prouvé la faisabilité. De son côté, RCA agissait pour aider l'industrie. En 1966, les cadres de RCA avaient organisé une réunion du secteur de l'épicerie où le développement des codes à barres avait été encouragé, et où ils ont pu détecté un potentiel d'affaires. Une équipe spéciale est venue travailler dans un laboratoire de RCA à Princeton dans le New Jersey, et la chaîne de magasins Kroger s'est proposée comme cobaye. Puis, au milieu des années 1970, un consortium d'entreprises a mis en place un comité chargé d'examiner les codes à barres. Le comité donna les lignes directrices du développement des codes à barres et créa un sous-comité pour la sélection d'une symbologie afin de standardiser l'approche. Cela a été le projet Manhattan de l'épicerie, et Alan Haberman3,
qui a dirigé le sous-comité en tant que président du First National Stores,
rappelait fièrement : Quelques principes étaient à la base des directives. Les codes à barres devaient être lisibles sous presque tous les angles et avec une grande profondeur de champs afin de simplifier le travail du caissier et pas l'inverse. Puisqu'ils seraient reproduits à des millions d'exemplaires, les étiquettes devraient être bon marché et faciles à imprimer. Et pour être rentables, les systèmes de contrôle automatisés devaient être payés en deux ans et demi. Une étude réalisée en 1970 par McKinley & Company prévoyait que le secteur réaliserait une économie de 150 millions de dollars par an en adoptant ces appareils, confirmant ainsi le dernier objectif. «Il s'avéra qu'il y eu des économies massives sur les emplois et sur d'autres secteurs, indiquait Haberman. Et il y eu des économies colossales réalisées par l'usage de l'information et la possibilité de la traiter plus facilement qu'au paravent, mais cela n'a jamais été quantifié.» Les économies quantifiables étaient celles que recherchaient les distributeurs. Elles incluaient le contrôle des produits deux fois plus rapidement que les caissiers ne le faisaient avec un équipement traditionnel, ce qui permettait de réduire les files d'attentes sans augmentation du personnel. Toujours est-il que lorsque les premiers systèmes de code à barres ont équipés les caisses, ils n'étaient pas utiles pour suivre les stocks, car trop peu de produits arrivaient identifiés par des codes. L'économie réalisée grâce à la collecte d'information, était limitée à la réduction du coût du travail, mais dut attendre que la majorité des produits soient identifiés pour être complète. Quand cela se produisit, la gestion fut transformée à tous les niveaux où elle intervenait. Au printemps 1971, RCA présentait un système de code à barre en œil de bœuf lors d'une réunion de l'industrie de la distribution. Les visiteurs recevaient une pièce d'étain. Si le code placé dessus représentait le bon numéro, ils gagnaient un lot. Les cadres d' IBM, présents à cette présentation, remarquèrent l'attraction que produisit RCA et redoutèrent de rester à l'écart d'un marché au potentiel énorme. C'est alors que George J. Laurer4 qui travaillait chez
IBM fut chargé de développer un code et un symbole d'identification des produits pour le
Uniform Grocery Product Code
Council, dans son équipe on retrouve Woodland -dont le brevet
avait expiré en 1969. RCA continua à mettre en avant son code en œil de bœuf. En juillet
1972 ; ils commencèrent un essai de dix-huit mois dans un magasin de Kroger à
Cincinnati. Il s'est avéré que des problèmes d'impression et des difficultés de
lecture limitaient l'usage de ce code. Les machines d'imprimerie laissaient
parfois baver l'encre dans le sens d'avance du papier. Lorsque cela arrivait sur les
codes en œil de bœuf, ils n'étaient plus lus correctement. Pendant un certain temps des codes exotiques formés par des morceaux d'étoile ou des caractères reconnaissables optiquement par un ordinateur furent étudiés, mais finalement c'est l'UPC, né chez IBM et techniquement élégant, qui gagna la bataille et fut choisi par l'industrie. Aucun événement dans l'histoire de la logistique moderne ne fut plus important. L'adoption de l'Universal Product Code, le 3 avril 1973, fit passer les codes à barres d'une curiosité technologique en un business omniprésent. Avant l'UPC, divers systèmes avaient commencé à être utilisés à travers le monde dans les magasins, les bibliothèques, les usines, et évidemment, chacun utilisait un code propriétaire. Après tout, n'importe quel code à barres placé sur n'importe quel produit pouvait être lu et décodé dans chaque magasin convenablement équipé. La standardisation permit de rentabiliser les dépenses engagées par les fournisseurs pour mettre des codes sur leurs produits et par les imprimeurs qui développaient des nouveaux types d'encres, des procédés d'impression, et de nouvelles technologies pour reproduire ces codes avec les tolérances qu'ils exigeaient. Les budgets engagés pour la révolution du code à barres étaient tels qu'ils auraient pu faire rougir le Pentagone. Chacune des dizaines de milliers d'épiceries des USA devrait dépenser au moins 5.200.000 $ en nouveau matériel. Les chaînes de magasins devraient installer de nouveaux centres de traitement de données et former leurs employés. Les fournisseurs représentaient un potentiel de 200 millions $ par an pour les étiquettes. Pourtant, les essais ont prouvé que ces systèmes seraient amortis en quelques années. La standardisation du code a permis de faire apparaître un système normalisé des nombres pour utiliser avec. « Avant que nous ayons les codes à barres, chaque société référençait ses produits à sa manière, indiquait Haberman. » Certains utilisaient des lettres, d'autres des nombres, et pour d'autres les deux, quelques-uns enfin n'utilisaient pas de code du tout. Quand l'UPC pris sa place, ces sociétés durent renoncer à leurs différentes méthodes et adhérer au nouveau Uniform Code Council (UCC). Ce code est composé de deux moitiés de six chiffres chacune. Le premier est toujours à zéro, sauf pour les produits comme la viande et tous ceux qui ont un poids variable, ainsi que certains produits particuliers. Les cinq chiffres suivants identifient le fabriquant. A nouveau, les cinq suivants contiennent le code produit et le dernier est une clé de contrôle qui permet de vérifier que les chiffres précédents ont été lus correctement. Des caractéristiques significatives sont cachées dans la structure du code et indiquent au décodeur à quoi correspond chacune des extrémités, permettant ainsi au code d'être lu dans les deux directions. Les fabricants doivent adhérer à l'UCC pour obtenir un code identifiant pour leur société, et peuvent alors identifier chacun de leurs produits. Ainsi chaque emballage qui passe au-dessus d'un poste de contrôle a son propre et unique numéro d'identification. Deux développements technologiques des années 1960 ont finalement rendu les lecteurs simples et suffisamment bon marché. Le premier était le prix attractif des lasers. La seconde fut l'apparition des circuits intégrés. La première fois que Woodland et Silver ont proposé leur idée , ils auraient eu besoin d'un mur complet de commutateurs et de relais pour manipuler l'information lue par le lecteur qui aujourd'hui tient dans une puce. Le 26 juin 1974, tous les tests étaient terminés, toutes les propositions étaient respectées, tous les standards étaient en place et dans un supermarché Marsh à Troy dans l'Ohio, un simple paquet chewing gum pu devenir le premier produit vendu au détail avec lecteur de codes à barres. Des décennies de discussion et des milliards de dollars d'investissement aboutissaient enfin à une réalisation pratique. L'utilisation des lecteurs eu d'abord une lente croissance. Au minimum, 85 % des produits doivent porter des codes avant que le système puisse être rentable, et quand les fournisseurs ont atteint ce niveau, vers la fin des années 1970, les ventes des lecteurs ont commencé à décoller. En 1978, moins de 1% des épiceries des USA utilisent des lecteurs. Au milieu de l'année 1981, le chiffre était de 10%, trois ans après il était de 33%, et aujourd'hui plus de 98% sont ainsi équipés. Pendant ce temps, cette technologie avait rampé vers les autres industries. Des
chercheurs ont fixé de minuscules codes à barres sur des abeilles pour pister
leurs
habitudes sexuelles. Laurer et Woodland ne se sont jamais
enrichis grâce aux codes à barres. Woodland
se vit remettre par le Président George H. W. Bush la
National Medal of Technology en
1992,
la même année qu'un certain William H. Gates de Microsoft Corp.
Notes :
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